Discussion de vieux amis [PV Ephraim]

(Ice vient d'ici)

 Cataclop, cataclop.
 Au pas, un cheval d'un blanc de neige s'avançait dans la Vallée Gerudo. L'animal avait parcouru une longue distance au galop, et bien que le trajet s'acheva sur ce rythme très tranquille, il bouillonnait encore d'écume. La température, plus élevée ici qu'en plaine, mais néanmoins pas autant que dans le Désert au delà, n'arrangeait en rien les tourments de la bête. Son cavalier portait un long manteau qui recouvrait jusqu'à ses jambes et dont la large capuche maintenait son visage dans l'ombre. Dissimulant les deux épées qui pendaient à sa ceinture par la même occasion.
 Le cavalier mit pied à terre et guida son cheval par la bride. Avec une certaine prudence, il lui fit traverser le pont, mais n'alla cependant pas plus loin. Le territoire des Gerudo lui serait hostile, et il n'avait ni envie de passer en douce, ni envie que son cheval soit revendiquer, ni envie de massacrer des Gerudos, ni envie d'ennuis, de façon plus générale. Il attacha donc son destrier à un piquet opportun, lui caressa les naseaux en lui murmurant quelques paroles, puis s'assit sur une pierre non loin.

 Si Ephraim devait rentrer chez lui, il passerait probablement par ici. Ice n'avait pas présentement pas l'énergie de suivre sa trace dans tout le pays et, vu l'agitation qui régnait en ce moment, l'Empereur d'Assilfeen ne pouvait que rentrer bientôt. Le Maitre des glaces espérait que Luna avait raison et que son diplomatique pouvait revenir n'importe quand. Il espérait donc ne pas avoir à attendre des lustres, ni l'avoir tout bêtement raté...

Ephraim marchait vers la sortie du désert. Après être revenu avec Ombre à Assilfenn, il avait ressenti l'ardent besoin de faire une grande marche dans les dunes, pour se ressourcer. Il était ensuite allé consulter les voleuses gérudos, à propos d'accords commerciaux et militaires. Il avait bien sûr remarque le bivouac de Moordenar. Ces abrutis pensaient être en position de force, dissimulés dans le désert. En réalité ils étaient pistés depuis leur départ du lac Hylia, et étaient actuellement cernés par des agents d'élite d'Assilfenn. Manifestement, ces agents n'avaient pas encore été repérés, principalement grâce au désert. Ils connaissaient l'endroit, contrairement à Moordenar. Ils savaient comment utiliser la chaleur, les dunes, la rare végétation pour être invisibles. Les soldats de Moordenar eux, cherchaient principalement à s'habituer aux conditions climatiques. Comprenaient-ils seulement que la chaleur était le danger le moins important de ces dunes qu'ils croyaient pouvoir maitriser ?

Ephraim sourit à cette pensée. En voyant toutes les ramifications de cette guerre, il avait décidé de s'en servir à des fins politiques. Après cette guerre, le monde saurait que l'Empire pacifiste et multiculturel d'Assilfenn ne saurait plier au motif qu'il ne met pas l'accent sur la force militaire. Le monde saurait également qu'aucune guerre ne se fait impunément. L'affrontement entre Altiméria et Ikana l'avait déjà montré certes, mais il était temps d'enfoncer le clou, de marquer les esprits à jamais.
Un seul point restait obscur dans l'esprit d'Ephraim : Mya. Il ne se souvenait que vaguement d'elle, ne savait pas comment il l'avait aimée, et même si il l'avait jamais aimée. Il se souvenait d'une tendresse, d'un engagement. Le reste était brouillé. Aussi, malgré les informations transmises par ses agents, il n'arrivait pas à comprendre pourquoi elle agissait de cette façon. Il haïssait la Mya telle qu'on la lui narrait. Pire, il éprouvait de la pitié pour elle, tellement elle lui semblait simple. Il ne disposait pas du recul et du contraste que lui auraient apporté ses souvenirs.

Il arriva enfin à l'entrée du désert. Le vent frais des plaines d'Hyrule vint lui carresser le visage. C'était agréable. Le désert était sa maison, mais il sentait parfois le renfermé. C'est alors qu'il vit Ice, assis sur une pierre. Ephraim n'avait pas plus de souvenirs d'Ice que de souvenirs de Mya, mais néanmoins le peu que son cerveau lui disait à propos de l'empereur d'Ikana étant en parfaite cohérence avec ce qu'il avait constaté ces dernières semaines. C'est pourquoi il était enclin à considérer Ice comme un ami là où il gardait d'énormes réserves concernant Mya.

Il salua donc le Givré. S'adossant contre une colonne de pierre marquant l'entrée du désert, l'Ouragan laissa alors son homologue expliquer le but de sa visite.

 Finalement il n'avait pas attendu des lustres, mais bien peu s'en était fallu qu'il rentre chez lui. Il en avait assez d'attendre et de se tourner les pouces, de faire des sculptures de glace bien trop tendre pour qu'elles tiennent, de tracer des dessins dans le sol que le vent emportait, et même de regarder les nuages. Ça il le supportait quand il était serein et n'avait aucune obligation. Pas quand c'était pour tuer l'ennuie d'une longue attente. Mais une ombre apparue à l'horizon, et au fur et à mesure qu'elle se rapprochait, se dessinait avec de plus en plus de netteté la silhouette de l'Empereur d'Assilfeen. Ce dernier le salua avant d'aller s'adosser à une colonne. Une attitude plutôt froide.
 Ice sauta de son rocher.

- Bonjour Ephraim. Déclara-t-il avec raideur.

 Aucune réaction. C'était donc ça la réaction appropriée à la vue d'un vieil ami? Son homologue avait-il réellement tant changé. Il s'approcha davantage. Prenant un ton moins grave, il reprit.

- Eph... Parle moi. Raconte moi ce que tu fais, ta situation. Il s'est dit tout et son contraire à ton propos. Que tu perdais totalement l'esprit. Qu'Assilfeen n'entrait plus dans tes préoccupations. Que tu était un être cruel et sans coeur, que tu avais perdu toute tes valeurs et je t'en passe. Il le regarda un instant. Mais sans lui laisser non plus le temps de répondre, il reprit. On m'a demandé de participer à l'attaque d'Assilfeen avant que ton officier, Luna, ne vienne, elle, me demander d'en héberger les survivants en cas de besoin. J'ai évidemment accédé à sa requête. Mais je veux savoir dans quel état tu es. Où tu en es. Qu'est-il advenu d'Uryan? Et ce que tu compte faire vis à vis de la bataille qui s'annonce.

 Il avait posé beaucoup de questions. Mais il lui fallait des réponses. Il dirigeait Ikana. Il devait savoir s'il s'impliquerait personnellement dans cette bataille ou s'il impliquerait tout son Empire. Il savait nettement pourquoi Itachie attaquait. Au vu des mouvements qu'il avait pu observer, il semblait également que le petit Ange avait convaincu Krynn, mais il n'avait aucune idée des motifs de Moordenaar, et il espérait qu'Ephraim le renseignerait à ce sujet. Évidemment, il ne se souciait pas réellement d'Uryan. Il n'avait pas vraiment connu cette femme. Darphenix l'avait souvent embêté. Il lui avait parlé en de rares occasions, mais elle n'était rien de plus pour lui qu'une connaissance. Comme il en avait tant.

Ephraim se prit le visage dans les mains, comme pour essayer de se réveiller après une mauvaise nuit. Son esprit était flou et la fatigue n'arrangeait rien. Il n'avait pas dormi depuis deux jours. A moins que ce ne soit plus ? Moins ? Impossible à déterminer.

- Je n'ai pas perdu la raison. Je me soucie toujours de mon peuple et je fais ce que je peux pour le protéger. Néanmoins, une succession d'évènement a changé la donne. J'ai... perdu une partie importante de mes souvenirs. Je me souviens de mon enfance, de grandes batailles comme celle contre Chaos, mais la plupart des personnes que je connaissais...

Il se frotta les yeux, comme si une migraine le prenait. La chaleur du désert commençait à être difficilement supportable avec son état de fatigue. Il fit se lever une brise venant du nord, afin qu'elle lui permette de mieux respirer. Puis il reprit son explication.

- La plupart des souvenirs que j'ai à propos des gens que j'ai rencontré en Hyrule et en Termina sont flous, comme si ils ne m'appartenaient pas. Je me souviens avec qui j'étais ami, qui je respectais, qui me respectait... Mais à chaque fois, je ne peut en être sûr, j'ai perdu une part de l'information, celle qui pouvait me permettre de savoir à coup sûr qui j'étais pour tous ces gens et réciproquement. Ceci peut t'expliquer, d'ailleurs, pourquoi moi-même je n'ai vraiment aucune idée des motivations de Mya. A Moordenar, certains disent qu'elle veut m'attaquer pour l'argent, d'autres pensent que c'est pour le renom. Tous s'accordent à dire qu'elle a changé, que la Mya qui secondait Iker n'aurait jamais agi comme ça.

Il s'assit par terre et ferma les yeux. Peut-être qu'il allait dormir ici.

- Toujours est-il que je suis sûr de ne pas l'avoir vue depuis la guerre. On est censés être mariés, non ? Je ne me souviens pas de ce qui a pu faire que je l'aimais, et apparemment pendant que je me remettais sur pied elle a décidé de me tuer. C'est pathétique... Concernant Uryan, je ne peux pas te dire grand-chose. Sache juste qu'elle n'est plus vraiment là. A Assilfenn tu verras une personne qui lui ressemble énormément physiquement, mais qui est bien différente mentalement. Cette personne là ne laissera pas à Itachie l'occasion de faire le crétin.

Uryan... C'était la seule personne dont Ephraim se souvenait parfaitement. Elle avait sacrifié son âme pour l'empêcher de mourir et son alter ego, Ombre, la concentration de toute sa haine et de toute sa douleur, avait pris sa place, liée par un sortilège à Ephraim. Condamnée à le protéger de sa vie. Ephraim ne savait pas qui il avait été avant de revenir d'entre les morts, mais manifestement ce n'était pas glorieux.

 Une amnésie partielle? C'était donc ce dont souffrais Ephraim? Une part importante de sa mémoire, disait-il, mais pas complète. Des relations incomplète. Son homologue d'Assilfeen ne semblait plus sur de rien. Et Ice devait avouer qu'il le comprenait. Il ne pouvait s'imaginer lui même dans un tel état, quoique son stoisme naturel l'aurait probablement protégé, au moins en façade. Il accueillante lui aussi avec satisfaction l'air qu'Ephraim fit souffler. L'endroit lui pesait et l'aide de son ami lui permettait de soulager son propre effort pour maintenir une atmosphère vivable autour de lui. Quand à Uryan, il n'avait pas apprit grand chose à son sujet, tout juste qu'elle n'était plus vraiment elle même. Pour ce que le Givré l'avait connu, cela ferait-il une réelle différence à ses yeux? Aucune idée, et il n'était pas vital de vérifier.
 Ephraim s'assit contre sa colonne, fermant ses paupières.

 Tout cela expliquait toutefois la situation. Sa confusion et l'impression de perdre l'esprit qu'il donnait à son entourage, surtout que le pauvre bougre n'avait pas vraiment eut le temps de récupérer que la menace d'une attaque pesait sur son Empire. Et malgré son état psychologique, il n'avait pas hésité une seconde à se préparer. C'était bien là l'Ephraim qu'il connaissait. Ainsi était-il sur d'être face à son ami. Ainsi était-il sur que son choix avait été le bon. Ne pas attaquer Assilfeen, ne pas assister Moordenaar, rester neutre, promettre asile si nécessaire. Mais pouvait-il faire plus pour son ami? Il n'avait jamais aimé Moordenaar, après tout... Même s'il en respectait quelque membres.

- Ephraim, commença-t-il d'abord pour s'assurer que ce dernier ne se soit pas assoupis contre son pilier de pierre. Souhaites tu de l'aide? Je sais que j'ai dis qu'Ikana resterait neutre, mais tu sais aussi... il hésita avant de continuer, se rappelant les actes de Kad et Log, que nous différencions les actes accomplis sous le blason de l'Empire et ceux personnels. J'ai dis qu'Ikana ne prendrait pas part à cette bataille, je n'ai en revanche pas parlé de moi. Il marqua une pause. Regarde moi. Il rabattit sa capuche et fit un tour sur lui même. Mon aspect n'est-il pas similaire à celui d'une partie de la racaille cupide qui compose Moordenaar? Je pourrais m'infiltrer dans leurs camp et éliminer le problème à sa source. Si Mya est aussi dérangée qu'il le parait, ce ne serait peut-être pas un mal...

 Moordenaar était la principale force de l'Alliance anti Assilfeen. Krynn n'attaquerait probablement pas seul, et la milice qu'Itachie avait rassemblé, si elle attaquait, ne serait jamais qu'une petite milice, pas forcément composée de guerrier confirmé et donc facile à maitriser, sans même forcément les tuer. S'infiltrer ne serait pas simple. Le Givré avait beau maitriser la dissimulation de son aura, il resterait un étranger complet, en difficulté si quelqu'un lui posait la moindre question. Ainsi comptait-il sur le réseau d'information d'Ephraim pour l'aider. Si toutefois ce dernier acceptait le recours qu'Ice lui proposais.
 Et puis... de façon plus personnelle, le Givré voulait voir ce qu'il valait en tant qu'Assassin. Mya n'était probablement pas la cible idéale pour débuter, mais il savait que dans tout les cas, il pourrait s'échapper. Les fortes puissances à Moordenaar étaient Iker, aujourd'hui partit, Mya, sa cible si Ephraim acceptait, et Adrix, mais ce gamin était tout sauf sérieux...

- Vas-y.

L'empereur avait dit cela d'un ton ferme et neutre. Il était autrefois réputé pour son indulgence. Il avait vaincu un certain nombre d'hommes depuis qu'il était empereur mais n'en avait tué aucun. Et ses actions diplomatiques montraient sa ligne de pensée.
Sauf qu'Ephraim n'était plus le même. Débarrassé de toute culpabilité inutile, il éprouvait seulement le besoin de faire ce qui devait être fait. Il devait protéger le peuple d'Assilfenn, principalement constitué de réfugiés. Mya devait mourir. Itachie devait être stoppé. Et tous les autres devaient craindre la guerre. Encore plus contre Assilfenn. De plus, le souvenir de Mya lui évoquaient une espèce de tendresse lointaine, une floue réminiscence de sa vie passé. Cela n'aurait pas suffi pour l'empêcher de la combattre, mais il aimait autant ne pas avoir à le faire lui-même.

- Je te laisse t'occuper de Mya. Je mettrai quelques uns de mes hommes à ton service. Fais ce que tu as à faire. J'irai m'occuper de Krynn, manifestement leurs troupes sont en mouvement avec Itachie. J'ai des hommes infiltrés à Moordenar, dans la basse hiérarchie. Ca sera suffisant pour te faire passer incognito.

Il se leva, s'étira, fit jouer les articulation de ses épaules, puis se tourna vers son ami.

- Autre chose ?

- Autre chose? Lui demanda son homologue.

 Ice réfléchit un instant... Non. Il n'avait besoin de rien d'autre. Pas même des hommes d'Ephraim, à la vérité. Des hommes infiltré à Moordenaar, tout le monde en avait. Le Givré ne les appelaient pas "la racaille de Moordenaar" pour rien. Au milieu d'un ramassis de chasseur de prime, d'assassin et de voleur sans éducations, tout le monde soupçonne tout le monde et n'en sait que le strict minimum. Mais c'était en l’occurrence largement suffisant pour lui. Il allait tuer Mya et par là même, mettrait fin à la guerre qui couvait depuis bien trop longtemps. Il espérait juste une chose...

- Non. Je sais ce que j'ai à faire, et j'aviserai sur comment le faire une fois sur place. Dans quelle direction est leur camp? Ephraim lui indiqua, précisant qu'il ne pourrait pas le manquer. Parfait. Répondit Ice. Nous nous reverrons en temps de paix, j'espère.

 Sur quoi ils échangèrent une poignée de main, puis Ephraim se retourna pour repartir.

- EPH! L'interpella soudain Ice, qui n'avait pas bougé.

 L'intéressé se retourna.

- Une dernière chose en fait. S'il te plait, n'en fais pas plus que nécessaire...

 Et ce fut son tour de se mettre en route, rajustant sa capuche, tant pour le protéger du soleil de plombs que pour son apparence. Le sens de ses paroles était clair. Une fois Mya supprimée, si Moordenaar venait à abandonner l'idée d'une attaque, Krynn ne se risquerait certainement pas à attaquer aux seuls côtés de la milice d'Itachie. Et si l'Ordre venait à se retirer, l'Empereur espérait qu'Ephraim ne les pourchasse pas et se contente de stopper Itachie. Qu'il fasse couler le moins de sang possible, car une attaque sur Krynn n'engendrerait que haine une fois de fois...