Un étrange visiteur

L'aube se levait à peine quand il se réveilla, encore en sueur et le corps endolori par cette nuit de souffrance. Il massa ses épaules avant de charger la valise à herbes sur son dos, ramassa sa besace et se mit en route. Il retrouva rapidement le chemin qu'il avait quitté à la nuit tombante, et reprit sa marche vers le village... le village... quel était son nom ? Il avait déjà oublié, mais c'était sans importance, il le saurait bien assez tôt.

Il plongea la main dans sa besace, et en sorti les quelques baies qu'il avait cueillies la veille. Un bien maigre repas mais ce serait suffisant pour le moment. Il s'arrêta souvent en cours de route, observant des insectes se livrant à leur rites sempiternels, admirant le paysage, examinant des plantes.

Alors qu'il en profitait pour remplir les tiroirs de son herbier, il aperçut une araignée, arpentant habilement sa toile parsemée de la rosée matinale, et attandant qu'une proie daigne venir s'y échouer. Il prit un air attendri devant ce spectacle, et se laissa aller à plonger dans ses souvenirs. Son expression se changea rapidement en une hideuse grimace et, comme dans un état second, il jeta sa main sur cette maudite toile dans un geste rageur. Il saisit l'araignée au creux de sa main avant de l'écraser, le regard empli de dégoût. Il resta prostré ainsi pendant plusieurs minutes, le poing serré sur ce qu'il restait de l'arachnide.

Une larme finit par dévaler le long de sa joue pour aller mourir sur son genou, le ramenant à la réalité. Le souffle court, il décida de reprendre la route.


Le Village Cocorico... c'est ca ! Maintenant qu'il le voyait écrit devant lui, cela lui apparaissait comme une évidence. Il poursuivit sur la route et se mit en quête d'un habitant des lieux.

Il n'avait encore croisé personne... ce village était-il réellement habité ? Probablement était-il encore un peu tôt. Il s'attendait à croiser des paysans, à la tâche dès le petit matin, mais de toute évidence, il s'était trompé ; après tout, peut-être ce hameau vivait-il de commerce plutôt que d'agriculture.

En tout cas, cette atmosphère paisible n'était pas pour lui déplaire, et il décida de se poser sur un petit banc de pierre, qui trônait sur une placette qui devait être le coeur du village. Le soleil était doux et la brise matinale faisait voler ses cheveux poussiéreux autour de son visage. Il avait appris à apprécier de tels petits plaisirs, et sourit béatement, le regard flou, pendant quelques secondes.

Placant sa valise à sa droite, il ouvrit bien grand sa besace qui débordait de plantes, qu'il entreprit de trier sur ses genoux. Il effeuilla les pétales, égraina le pollen, détacha soigneusement les feuilles. Avec le plus grand soin, il rangeait au fur et à mesure ses trouvailles du jour dans les petits tiroirs de sa valise, roulant les feuilles, pressant les pétales entre des lamelles de bois. Parfois, il ouvrait un épais livre à la couverture usée et aux pages jaunies, comparant les dessins qui s'y trouvaient avec sa cueillette matinale, prenant tour à tour un air satisfait, ou une moue réprobatrice. Plongé dans son univers, rien ne semblait pouvoir le déranger.

Malgré tout, le temps passant, un malaise s'installait en lui : il se sentait observé, épié, et cela ne lui plaisait guère. Agacé, il abandonna ses herbes l'espace d'un instant, le temps de parcourir les alentours du regard. Il inspecta rapidement portes et fenêtres : ce qui n'était pas clos semblait vide.

"Euhmmmm... Bonjour ? Il y a quelqu'un ?" lança-t-il à tout hasard, le ton hésitant. Rien ne semblait bouger, aucune réponse ne venait.

Il soupira lourdement, se méfiait-on de lui ? Il n'y avait pourtant pas de quoi... Ce village était définitivement étrange. Mâchonnant quelques feuilles pourtant peu appétissantes, il retourna à ses plantes, attendant que quelqu'un daigne se manifester.

Toujours dissimulée derrière la porte du moulin et tous ses sens aux aguets, Uryan ne baissait pas d'un seul point sa vigilance. Ses vertiges passés laissaient maintenant place à des tremblements plus ou moins intenses se mêlant à l'excitation d'un futur combat. Et pourtant cet étrange visiteur fort matinal ne semblait pas être aussi agressif qu'elle le pensait. Tout le temps qu'elle observait, celui-ci n'avait tenté aucun acte destructeur. Au contraire, il s'était assis et semblait être occupé à quelque chose dont Uryan ignorait la signification.
Or, emportés par la douce brise du matin levant, des senteurs donnaient l'impression à la jeune femme de provenir de cet homme, comme si ses gestes soignés venaient de les laisser s'échapper. Laissant ce détail envahir doucement son esprit, Uryan pu également remarquer la présence d'un livre. Un livre. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait plus eut le temps ni les possibilités d'en tenir un entre ses mains, d'ailleurs cela lui manquait terriblement. Oui, car depuis un moment elle avait décidé de posséder le strict minimum d'éléments dans sa vie et donc de bannir tout ce qui n'était pas vital. Qui plus est, elle avait vendu tout ce qui ne l'était pas, et bien sûr les livres en faisaient parti. C'est donc d'une manière différente, c'est-à-dire empreinte de nostalgie, qu'elle examinait la silhouette devenue plus nette avec la venue du jour. Peut-être était-ce là un nouvel espoir.
Non, elle devait raffermir ses pensées et devenir plus méfiante encore. Depuis le temps, elle savait combien il était imprudent de faire trop vite confiance aux gens; car même ceux que l'on croyait connaître, étaient capables de nous poignarder lâchement.
Soudainement l'homme la sortit de ses pensées. Il avait crié et même si elle savait bien qu'il ne connaissait pas sa position, Uryan se doutait maintenant qu'il se sentait observé. Bien. Il fallait agir et ce le plus rapidement possible.

Comme la guerrière l'avait remarqué précédemment, cet étranger de Cocorico ne semblait pas très agressif, mais elle continuait à se méfier. Donc, elle agirait en douceur.
C'est ce qu'elle fit.
Uryan rengaina un de ses poignards mais en conserva un dans sa main principale, c'est-à-dire la gauche. Même si en se levant elle avait apprécié ce levé de soleil, désormais elle le maudissait, car si elle voulait que son plan réussisse, il fallait qu'elle devienne une fois de plus ombre parmi les ombres. Et donc plus le jour venait, moins il lui serait aisé de restée inaperçue jusqu'à exécution totale de son idée.
Elle tenta le tout pour le tout.
La porte s'ouvrit légèrement, juste assez d'espace pour que Uryan s'y faufile, déjà en position de raz motte. Laissant son corps prendre des torsions plus ou moins similaires à des reptiles, elle continua ainsi sa progression jusqu'a arriver dans le dos du nouveau venu. Lui d'ailleurs donnait l'impression de ne s'être aperçut de rien et continuait sa quelconque occupation.
Parfait.
Tel le prédateur qui bondit sur sa proie, Uryan s'accrocha au cou de l'homme, sa lame directement appuyée au creux de sa gorge. Celle-ci se déployait aisément, car Uryan avait fait basculer un peu en arrière le corps de l'homme et le maintenait encore quand elle lui parla à son oreille.

" Oh, aurais-je oublié mes manières ? J'ai omis de dire bonjour et de me présenter… Tsss, quelle sotte. Mais je vais me rattraper et ce dans l'instant. "

Aucun signe de relâchement de la prise.

" Alors bonjour à toi qui viens d'arriver en ces terres prospères. En ce jour solennel je t'accueilles donc parmi nous, moi, Uryan, simple habitante du village Cocorico, mais protectrice fervente de la sérénité de ces lieux. "

L'agressivité inhabituelle avec laquelle Uryan avait tenté une approche envers l'étranger indiquait bien que quelque chose n'allait pas. Une fois de plus des visions irréelles s'opposaient à d'autres plus sensées.
Espérons pour lui que cela ne durerait pas.

Que ... ?! Il n'en revenait pas, lui qui depuis tant d'années avait traversé tant de contrées, tant de forêt obscures et de défilés propices aux embuscades... il fallait qu'il se laisse surprendre au beau milieu d'un petit village calme et tranquille.

Chuchotements à son oreille, son assaillant était donc une femme. Elle le serrait contre elle, le menancant d'une arme sous la gorge.

Amusant. Il n'avait pas été aussi proche d'une femme depuis si longtemps. Son corps était chaud, presque anormalement chaud. C'était agréable. De sa peau exhalait un parfum salé, et il pouvait sentir son coeur palpiter dans chacun de ses membres, probablement sous le coup de l'adrénaline. Il ferma les yeux, savourant cette proximité féminine inattendue. En y pensant bien, sa voix trahissait son âge. Elle était plus jeune que lui, et... Bon sang, mais elle menaçait sa vie ! A quoi pensait-il dans un tel moment ?!

Le souffle court, mais faisant de son mieux pour garder son sang froid, il balbutia quelques mots "Je.. je ne suis qu'un simple voyageur. Je ne pense pas que de telles mesures soit nécessaires, jeune demoiselle." Il essayait de se montrer rassurant, mais le noeud qui se formait au fond de sa gorge n'était pas pour aider. Sentant la respiration s'accélérer dans son cou, il comprit qu'il avait échoué.

"Quel est ton nom, étranger ? Que viens-tu faire ici ?", articula-t-elle dinstinctement.
"Je suis un humble herboriste itinérant, je cherche simplement un endroit où me reposer quelques temps. Mon... mon nom importe peu." L'étreinte se resserra, il pu sentir plus dinstinctement la lame presser sur sa pomme d'Adam.
[i]"Je t'ai demandé ton nom !
- Hmm bien bien, calmez-vous, par pitié. S'il vous en faut vraiment un... alors mon nom est Pénitence."

Au silence qui s'en suivit, il devina que la réponse ne plaisait guère. La lame laissa cependant un maigre répit à sa gorge, pour lui permettre de respirer plus aisément.

"C'est le seul nom qu'il me soit autorisé à porter, désormais. Je ne peux pas faire mieux pour vous, il faudra vous en contenter..."

Dans la courte étreinte qu'Uryan exerçait sur cet homme, la guerrière se rendit compte qu'il ne faisait rien pour s'en extraire. C'était comme si il n'avait toujours pas prit conscience qu'elle détenait sa vie à la pointe de sa lame. Mais il avait tout de même l'air surpris d'un tel accueil comme l'indiquait son début de phrase hésitante et inachevée. Elle écoutait ses maudites explications qu'elle envoyait prestement au diable. Uryan n'avait que faire des mensonges.

Désormais à une proximité importante de là où l'homme était assis il y à peu, Uryan pu voir les objets qu'il tenait dans ses mains avant qu'il ne soit ainsi apostrophé. Le livre qui avait tant titillé son côté hospitalier, se trouvait au sol, des choses vertes s'en étant échappées.
Elle n'avait pas eu besoin d'écouter les explications plutôt claires de l'homme pour savoir qu'elle activité il pratiquait. Un herboriste, un simple herboriste. Si elle avait su, jamais elle n'aurait agit de la sorte. Mais dans ce cas pourquoi le menaçait-elle encore ?
Elle se posait cette question mais continuait à être agressive, rapprochant continûment son arme et maugréant toujours autant contre lui.
Or, quand il évoqua enfin son nom, Uryan reçue comme un léger choc.
Pénitence.
Ce mot faisait échos à d'autres plus lointains mais éternellement présents en elle. C'était comme avec son amie. Oui, celle qui portait jadis un nom qui lui correspondait, à sa personnalité et qui maintenant n'était plus que poussières.
C'est donc ainsi qu'Uryan baissa totalement les bras, autant mentalement que physiquement. Les mêmes images de la nuit revinrent, avec ces mêmes sensations et douleurs. Si elle se sentait si mal en se levant, c'est parce cette nuit elle avait revécue ces instants qu'elle regrettera à jamais; ceux de la mort de Crépuscule, le jour où Uryan avait causé sa perte.
Totalement abattue par tous ces éléments qui refaisaient lentement mais difficilement surface, Uryan oublia ce qui l'entourait; les oiseaux, arbres, habitants et même l'herboriste toujours proche d'elle. Quant aux larmes, cela faisait un moment qu'elles n'apparaissaient plus aux coins de ses yeux, et même en cet instant rien ne venait, comme si sa tristesse ne voulait pas sortir.

A peu de distance, des sons aigus, comme des plaintes retentirent et fit lever instinctivement la tête de la jeune femme qui s'était agenouillée dans les herbes. Ce son elle le connaissait bien pour l'avoir souvent redouté. Or, d'habitude il faisait son apparition au plus profond de ses songes. Pourquoi donc maintenant, alors qu'elle était bien éveillée?
Puis survint une chose qu'elle pensait seulement être chimérique jusqu'à cet instant. Non loin du groupe que formaient le visiteur et la jeune habitante, près du puits, une lueur d'un bleu flou apparut, parfois tremblante parfois plus intense.

" G… Grande sœur ?... "

Uryan s'était maintenant totalement redressée et observait bouche bée cette apparition. Sans avoir le moindre doute de l'identité de cette dernière, elle avait prononcé ces mots qu'elle croyait depuis longtemps enfuis. Pourtant, ils étaient bien sortis témoins et vestiges de la relation intense qu'elle avait eut avec son amie Crépuscule. Tout se passa très vite dans son esprit. Différents éléments s'enclenchèrent donnant naissances à de nouvelles interrogations; que faisait-elle ici, sous cette forme ? Etait-ce réellement une preuve de sa folie ou bien… ou bien peut-être qu'elle n'était pas la seule à la voir.
Là, Uryan se retourna vers l'homme qui lui n'avait pas bougé d'un iota.

" Est-ce… est-ce que tu... vous… Est-ce que tu l'as vois aussi. "

Puis sur un ton plus hystérique elle reprit.

" Elle est là, près du puits, à m'observer ! Ses yeux; les mêmes le jour où… Mais regardes ! Dis-moi si toi, oui toi là, si tu la vois comme moi ! Je t'en prie... "

La peur laissa ainsi place à la colère d'un instant.

Il la voyait, comme terrorisée, bouger les lèvres sans qu'il ne puisse entendre le moindre son. Elle parlait ? Qu'essayait-elle de dire ? Que regardait-elle aussi fixement, comme paralysée, les yeux grand ouverts ?

Il fouilla les alentours du regard, sans rien voir. Si ce n'est.. Qu'est-ce ... Il lui avait semblé apercevoir un halo bleu, près de ce puits, disparaître en une fraction de seconde. Avait-il vraiment vu quelque chose ? Il n'eut quà peine le temps de réaliser et d'ouvrir les bras tandis que la jeune femme, vacillante, s'écroulait contre lui, inconsciente.

Sa peau était chaude, il pouvait le sentir au travers de ses vêtements, plus chaude encore qu'auparavant. Sa peau dégageait toujours cette odeur salée. Il pouvait maintenant dinstinguer la sueur perler sur son front. De la fièvre, elle avait de la fièvre. Un fièvre intense sans aucun doute, au point d'avoir provoqué des visions. Mais ce qu'il avait vu... ? Ce n'était pas le moment de rêvasser.

D'une main il ôta sa valise du banc, pour y allonger délicatement la jeune inconnue, fouilla sa besace et en sortit un linge qu'il cala sous sa nuque. Il courut au puits, y plongea le seau et remonta quelques litres d'eau. Elle avait l'air claire et bien fraîche, impeccable. Il s'arrêta une seconde, vérifiant à la va-vite les alentours du puits. Rien, ses yeux lui avaient joué un tour, sans auncun doute.

Revenu près du banc, il s'empressa de fouiller à nouveau sa besace à la recherche de son mortier en bois. Après avoir ouverts frénétiquement plusieurs tiroirs de sa valise, il finit par trouver le bon, et afficha un air satisfait. "Parfait, si je rajoute un peu de ca..." Attrapant une des herbes qui était tombée à terre, il se mit à l'oeuvre. D'un geste sûr, il effeuilla la plante, découpant la tige en petits morceaux qu'il jetta habilement au fond du mortier, où se trouvaient déjà les herbes sèches sorties de la valise. La jeune fille gémissait, il n'y avait pas de temps à perdre. Il entreprit d'écraser ce mélange, y ajoutant de petites quantités d'eau régulièrement, jusqu'à ce que le mélange, bien pâteux, puisse être pris en main. Il malaxa le tout prestement avant d'appliquer le cataplasme sur le front de la jeune fille désormais agitée par de légers spasmes, en prenant soin de détacher l'étrange bijou qui ornait son front.

Une forte odeur mentholée se répandait dans l'air alors que l'herboriste se remettait au travail. Quelques feuilles et un peu d'eau dans une petite fiole, qu'il pausa sur un creuset de pierre. Il entreprit alors de mettre le feu à un petit morceau de souffre, à l'aide d'un étrange objet metallique qui produisait des étincelles lorsqu'on tournait une molette. Un homme farfelu lui avait offert en remerciement de ses bons soins, il avait enfin l'occasion de s'en servir. Le minéral s'embrasa violement d'une flamme bleue qui ne mit que quelques secondes à faire boullir le contenu de la fiole.

Il huma le résultat de sa composition et, fier de lui, fit refroidir la fiole dans le seau d'eau.

"Mademoiselle ?" il lui secouait légèrement l'épaule ; même si le cataplasme fesait son effet, elle n'avait toujours pas repris conscience. "Mademoiselle ? il faut que vous buviez ceci, ça ne peut que vous faire du bien". Aucune réaction. N'osant se montrer plus virulent, il redressa délicatement la tête de l'inconnue et versa le mélange dans sa bouche, petit à petit, jusqu'à la dernière goutte.

Il remarquait seulement ses cheveux d'un bleu peu commun, comme il n'en avait jamais vus auparavant. Etonnant, cette jeune femme semblait vraiment particulière. L'air attendri, il retira délicatement les poignards attachés à sa ceinture, qui menacaient sa patiente de leur pointes acérées, ramassa celui qui trainait au sol, et les rangea dans sa besace. On n'est jamais trop prudent, après tout.

Il s'assit en tailleur sur le sol et saisit la main de la jeune fille. "Tout va bien, tout va bien, calmez-vous." La fièvre baissait, c'était bon signe. Il n'avait plus qu'à attendre qu'elle retrouve ses esprits. Et à espérer qu'elle ne serait pas d'humeur massacrante au réveil.

Il remarqua quelques habitants, curieux mais l'air effrayés, observant la scène depuis leur portes entrebaillées, ou cachés derrière leurs rideaux, n'osant intervenir, ni même vraiment se montrer. Il fit abstraction des spectateurs et patienta, sans bouger, perdu dans ses pensées. Sans même qu'il s'en rendre compte, ses mains tenaient toujours celle de la jeune femme.

Trop de sensations, trop d'évènements envahirent son esprit à cet instant. Plus aucune force ne pouvait la retenir. C'est ainsi qu'Uryan se sentit partir et cela sans pouvoir y remédier. Comme si tous les vertiges revinrent d'un seul coup, la jeune femme eut la sensation de s'enfoncer de plus en plus dans le sol mais sans pour autant en trouver un fond. Elle semblait donc sombrer dans de profonds abysses. Et puis là, à la fois soudainement et de façon légère, cette chute interminable se stoppa. Aucune lumière ne passait, tout était sombre, et pourtant Uryan voyait sans difficulté. Elle voyait surtout qu'elle se trouvait dans un endroit d'un vide complet. Seul des sons sous la forme de chuchotements meublaient ce vide nocturne. La guerrière ne bougeait pas. D'ailleurs que pouvait-elle bouger, il lui semblait ne pas avoir de corps, comme si c'était seulement son esprit qui se trouvait en ces lieux.
Les chuchotements s'effacèrent pour laisser place à une voix plus distincte. Uryan la reconnut. Son amie, celle qui lui était apparut il y a peu près du puits. Mais était-ce vraiment il y a si peu de temps ? Elle n'aurait su dire si elle était ici depuis quelques minutes ou plus. Décidément cet endroit ce révélait très imprécis et ce sur de nombreux points.
Elle apparut enfin, cette fois sans cette aura bleutée et ses impressions d'évanescence comme le ferait n'importe quelle lanterne au vent. C'était comme autrefois. La plus forte avait le dessus sur la plus faible. Et pourtant… Les regrets vinrent une fois de plus noyer Uryan. Parce que la voir ainsi, avec son apparence d'antan, ne pouvait avoir que cet effet sur elle.
Les mots jaillirent, rien ne les empêchait de partir de cette façon, rien, même pas la présence d'une bouche.

" Je suis désolée… "

_ Pas autant que moi.

Un ange passa, plus glacé que jamais.

_ Uryan, regardes ce que je suis devenue ou plutôt ce que je ne suis pas devenue. Qu'une simple brise que l'on ne remarque jamais. Un soufflet ridicule. Alors que jadis… jadis la vie était en moi, tout simplement. J'espère que tu comprends à ce moment. Ne recommences pas les erreurs que tu as faites dans le passé et dont je suis la preuve vi…

Un grimace apparut sur ce visage qui n'avait pourtant rien lasser paraître depuis le début de ce dialogue.

_ Réfléchi avant d'agir. Cela sera sûrement mon dernier conseil. Mais ne néglige pas non plus le fait que je fasse partie de toi et donc d'une certaine manière je serais toujours un peu auprès de toi.

L'halo bleuté revint autour d'elle qui brillait de nouveau irrégulièrement comme la lueur d'une chandelle.

_ J'espère que tu sauras aussi me pardonner mais surtout… surtout, ne m'oublie pas… fais au moins ça pour moi…

Plus rien.
Crépuscule avait totalement disparut emportant avec elle cet univers de gouffre où Uryan se trouvait. Des sons plus distincts parvinrent enfin à son corps cette fois-ci tremblant entièrement. Lentement elle se rendit compte que la fièvre n'était pas la seule cause de ses spasmes. Les tremblements des sanglots trop longtemps retenus accaparaient enfin son corps s'accordant de ce fait avec son état d'esprit. Ses yeux, quant à eux n'étaient toujours pas ouverts. Quelqu'un était près d'elle et paraissait lui parler, mais ces paroles lui semblaient encore incompréhensibles. Elle se laissa faire, ses forces l'ayant de toute façon abandonnées.
Progressivement la perception du monde et des choses qui entouraient Uryan revint. Le soleil maintenant assez élevé laissait voir les moindres détails. Les striures de certains feuillages, là qui pendaient paresseusement au dessus de son visage. La chaleur revint ainsi en elle tout en s'apaisant ceci de façon paradoxale. Elle prit donc conscience qu'elle se trouvait allongée sur le banc en pierre. Quelque chose soutenait sa tête et une autre sa main. Ce dernier élément l'éveilla une fois pour toutes.
Elle tourna son visage du côté gauche, où sa main était toujours soutenue. L'herboriste, se tenait là, l'air ailleurs, mais toujours bien là, auprès d'elle. Que faisait-il encore ici ? Après tout, elle l'avait virulemment attaqué et il aurait dû profiter de sa faiblesse pour éviter de se retrouver à nouveau dans une mauvaise posture. L'incompréhension donna suite à de nombreuses questions. Son esprit encore trop engourdi mis du temps à lui rappeler la façon de communiquer. Enfin elle prit la parole.

" Que… "

Uryan n'eut pas le temps de continuer qu'un air de flûte stoppa net ses débuts de paroles. Puis vinrent les tambours accompagnés d'autres instruments à vent.
La fête du village bien sûr.
Elle se rappela tous les efforts qu'elle avait d'ailleurs entreprit pour ses festivités la veille. Et eux deux se trouvaient au centre du village et cla dans un état peu présentable. Quelle situation embarrassante. Et malgré cela elle ne pouvait rien y faire.
C'est ainsi qu'elle ne dit plus mot, attendant de reprendre un peu plus de contenance pour disparaître vite fait de la vue de tous les badauds qui ne tarderaient à arriver près d'elle et de lui demander pourquoi au lieu d'être prête pour la fête, elle se trouvait sur ce banc qui plus est en la compagnie d'un étranger.

Enfin, elle reprenait ses esprits, quel soulagement. Elle semblait encore absente, mais elle était de retour, c'était le principal.

Une bien étrange musique commencait à se faire entendre dans les rues adjacentes, et semblait se rapprocher. Il n'aimait pas particulièrement se mêler à la foule, et il semblait quelque peu contrarié de ne pas avoir remarqué avant. Au vu des décorations et autres préparatifs, il allait visiblement y avoir un fête par ici... Ennuyeux.

"Tenez mademoiselle, prenez ca, et mâchez-les, elles vous remettront d'aplomb." Il placa quelques feuilles encore bien vertes dans la main de l'inconnue, et l'aida à se relever pour s'asseoir.

"N'essayez pas de vous lever tout de suite, vous êtes encore un peu faible. Et mâchez-les dès que vous vous en sentirez capable, c'est important !".

Abandonnant sa patiente, qui avait l'air de n'y rien comprendre, il referma sa valise et la chargea sur son dos, puis passa sa besace à son épaule. Il allait se retourner quand il se rapella.

"Mes excuses, j'allais repartir avec !" Il posa les poignards confisqués à la jeune fille sur le banc, juste à côté d'elle.

"Simple de mesure de précaution, j'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur", dit-il comme pour répondre au regard noir qu'elle lui jettait. Heureusement pour lui, elle n'était pas en mesure de lui faire quoi que ce soit, il pu donc lui tourner le dos sans aucune crainte.

"Au revoir", lanca-t-il avant de se diriger vers la sortie du village. Le monde était vaste, et il lui restait tant à voir ; et qui sait, le prochain arrêt serait peut être le bon, cette fois-ci.

Prenant la direction d'un petit bois qu'il avait aperçu un peu plus tôt, il quitta le hameau, et disparu bientôt dans des chemins de traverse.

"Et adieu."